Chavez et l'anarchisme.

Publié le par ced

D’après El Libertario # 53, mayo/junio 2008, p. 3

 


 

Avec ce don de parloter propre au militaire riche, puissant et irresponsable qui n’a de comptes à rendre à personne, encore moins à la culture et à la connaissance, le Président a présenté une thèse curieuse devant les récentes réclamations de participation de ses disciples. Dans un mélange qui réunit de tout comme au grand bazar, il a dénoncé ceux qui, sous la conduite de la droite et de l'impérialisme, ont lancé des slogans comme « nous ne voulons pas être gouvernés, nous voulons gouverner » ce qui est une thèse qui est assurément anarchiste. Cette absurdité mérite de retenir l'attention, de sorte, citons le site officiel Aporrea:


Le Président affirme que, encouragés par la défaite du 2 Décembre, certains groupes ont suggéré que ceux qui sont au pouvoir ne sont plus le pouvoir constituant, mais le pouvoir constitué, et qu’ils ne méritent plus d'être dans la discussion du pouvoir populaire. Il estime qu'il s'agit là d'un discours conduit par la droite et l'impérialisme, et qui utilise des slogans tels que « nous ne voulons pas être gouvernés, nous voulons gouverner. » «Je tiens à répondre aux gens que nous sommes à l'écoute», a déclaré Chavez, « pour discuter de cette question et couper court à cette thèse qui est certainement anarchiste et qui cherche à semer la division dans nos rangs. » « Peut-être que, par ma formation militaire prévue pour la guerre, je suis habitué à la nécessité d'un plan, d’une tête et à la nécessité d’un leadership et d’une discipline, qui ne doit pas être militaire, mais qui doit être révolutionnaire. Et des cadres révolutionnaires, et la reconnaissance d'une direction révolutionnaire et d’un programme révolutionnaire, et d’une auto-critique révolutionnaire. » Malgré cela, il a expliqué qu'il est «le premier défenseur de la liberté d'opinion et de l’autocritique responsable et révolutionnaire, véritablement constructive ».


Des ignorances et des incohérences


Laissons de côté ceux qui dirigent la diatribe, car les affaires intérieures du PSUV [1] sont une autre question. La vérité est que, après le 2-D, il y a un malaise au sein du chavisme - en particulier à l'encontre de la bolivarchie haut placée, multimillionnaire en dollars et en échecs- et une boîte de Pandore s’est ouverte qui sera difficile à refermer. Ceux qui briguent leur tour à la batte apparaissent pour profiter des dernières années et réclament : nous ne voulons pas être gouvernés, nous voulons gouverner. Il est a précisé que ce slogan n'est pas anarchiste, comme le dit le Grand Animateur télévisé. Certes les anarchistes ne veulent pas être gouvernés, mais nous ne voulons pas non plus gouverner. Le mot d’ordre anarchiste est ni dirigeants ni dirigés, très loin de cette moquerie pédante qui veut dire : Pousse-toi de là que je m’y mette, comme le fit cette bande pour se débarrasser de AD et COPEI [2]. Ceux qui y sont ont déjà eu leur tour, et maintenant de nouveaux groupes courent après leurs désirs (désirer = voler, selon le lunfardo [3] et Cristina Kirschner [4]), mais on est loin de l'anarchisme, qui vise à dissoudre le gouvernement, non à se l’approprier.

 

[1] Partido Socialista Unido de Venezuela, parti de Hugo Chavez.

[2] Acción Democrática et Comité de Organización Política Electoral Independiente, partis précédemment au pouvoir depuis la fin des années 50.

[3] argot de buenos aires.

[4] présidente de l’Argentine.

 


Dans son discours, Chavez fait de la différence des idées le germe de la division. Ce n'est pas non plus le point de vue des anarchistes, pour qui la différence est une condition pour l'Union. C'est comme penser que dans une équipe de football, il est préférable d'avoir 10 gardiens de but et un seul coup de pied. Tous les collectifs ont fondé leur richesse dans la diversité des idées, des fonctions, des capacités et des perspectives dans la formulation du plan et la  reconnaissance de l'autorité pour la conduite. Anarchistes, nous voyons les choses plus dans le sens d’une coordination consensuelle et non comme l'obéissance automatique qui mène les fourmis dans le trou au profit de leur reine.


Ne peut rien entendre à l'anarchisme qui avoue être habitué à l’existence d’un plan, d’une tête, d’un leadership et d’une discipline. Une telle approche, comme il l'a bien dit, est propre aux militaires, mais de ceux qui organisent les défilés, parce que la guerre est aujourd'hui beaucoup plus compliquée. Nous nous souvenons qu’en pensant ainsi il manqua par deux fois son coup d’état en 1992. Il n'y a qu'à voir comment le Commandant de l’Ecran conçoit les plans et le leadership quand il ordonna pour la télévision, 10 bataillons à la frontière, le subalterne a obéi puis s'est assis et dit : Nous allons par-devant l'absurdité d'une tête qui ignore ce que sont des plans. Parce que la direction doit surgir d'accords concertés, nous (anarchistes) pensons que la discipline n'est pas synonyme de soumission à un chef imposé et totalitaire, mais le résultat de l'unité des buts, des objectifs et des moyens de parvenir à un accord, émergé de la diversité qui enrichit les options.


En outre, il est ridicule quand il propose un leadership et une discipline, qui ne doit pas être militaire, mais qui doit être révolutionnaire. Si, à ce stade, personne, pas lui-même, ne sait ce qu’est cette révolution, comment savoir ce qu’est la direction et la discipline révolutionnaire ? Après 10 ans, la discipline révolutionnaire du Stentor semble limitée à dire oui à ce que dit le Locuteur Bolivarien comme c'est le cas en ce moment, sans plan ni objectifs au-delà des siens propres : la discipline aujourd'hui c’est la préparation de Boyacá II [5] en Colombie , mais demain c’est courir à une réunion présidentielle pour poser sur la photo avec Uribe [6] ; aujourd'hui c’est menacer de couper le pétrole aux gringos, demain, c’est les supplier de nous vendre du riz et des haricots. Si nous comprenons que la seule discipline qu’il connaît est le défilé militaire, il est en tout accord avec elle de venir avec une balle tendue à 90 miles par heure [7] quand quelqu’un sort du rang. Il est clair que c’est ce qu’il dit aux membres de son parti, pour qui la consigne est: “En avant, marche…”

 

[5] Chavez a expliqué lors d’une récente conférence de presse avec Lugo, le président du Paraguay, qu’il a "invité" Petropar à créer une entreprise mixte avec PDVSA pour exploiter le "Bloc de Boyacá 2" dans la ceinture de l'Orénoque à l'est du Venezuela.

[6] Álvaro Uribe Vélez est président de la Colombie.

[7] Chavez apprécie le base-ball et déclarait le 13 juin 2007: «Fidel a récupéré une balle tendue à 90 miles»

 


Quant à l’autocritique révolutionnaire, il s’agit d’un autre signe de chaos mental parce que la réclamation provient des siens, précisément, dans une critique surgie de l'intérieur du mouvement, c’est à dire une autocritique. Toutefois, après réprimander les critiques, appeler à la discipline, interdire les lancers des candidats à contre-temps (pour pouvoir les contrôler), envoyer des messages d’obéissance à l’oppresseur, il prétend être le premier défenseur de la liberté d'opinion et de l’autocritique responsable et révolutionnaire. Il paraît que l'art de présider consiste à se contredire ou à mentir, et le personnage excelle en cela.


D’autre part, que cette rébellion interne anarchiste soit conduite par la droite et l’impérialisme insulte l'intelligence. Pour autant que nous le savons tous, s'il y a une droite au Venezuela cette droite endogène est chaviste. C’est celle qui s’est enrichie avec les importations et reçoit des dollars de la CADIVI [8], celle qui en profite pour acheter des propriétés bon marchés avec la menace des invasions, celle qui fait affaire avec les obligations, celle des banquiers, celle qui bénéficie de contrats de tout type, celle qui est favorisée par l'exploitation des hydrocarbures et des mines, celle qui motorise la corruption internationale. Que cette droite veuille changer l'état des choses est impensable. Chavez est pour elle comme un pare-choc qui contrôle la population et elle ne le remerciera jamais assez pour les dommages que reçoit n’importe quel idéal socialiste raisonnable au compte des échecs de ce socialisme bolivarien télévisé et grotesque.


En ce qui concerne l’empire, le Venezuela le préoccupe peu. Chavez est le gouvernant le mieux inscrit dans le néolibéralisme mondial : il n’exporte que des matières premières, en partenariat avec les transnationales auxquelles il a cédé une partie des richesses du sous-sol dans les entreprises mixtes ; tandis qu’il annule tout développement interne de l’industrie, de l’agriculture ou de l'élevage pour acheter tout dans le marché mondial, ce qui rend la population totalement dépendante du capitalisme transnational. Chaque jour il y a plus de négoce avec les Etats-Unis, les sociétaires pétroliers de Bush son favorisés, la pénétration militaire en Colombie et ailleurs dans les Amériques est facilitée. Bush et la CIA, qui ne posent pas un pied dans le reste de la planète, semblent avoir trouvé le seul endroit où on les laisse tranquillement tout faire, créer la pénurie de lait, promouvoir la dengue [9], semer la délinquance, renverser l'audience de TVes et s'infiltrer dans le chavisme. Avec Chávez, la CIA a ressuscité, tel un fantôme de l'Amérique qui, sans ses éloges, aurait été close par inopérance. Et quand l'empire serre vraiment, comme dans l'OEA [10], le Courageux du Microphone met la queue entre les jambes et rentre dans le rang, même si cela laisse son séide Correa [11] dans l’embarras.


[8] La Commission d’Administration des Devises (CADIVI) a autorisé en 2007 la mise à disposition de 44,4 milliards de dollar aux fins d´importation, contre 14,78 milliards de dollar en 2005, soit trois fois plus en deux ans.

[9] La dengue est une maladie infectieuse transmise par les moustiques.

[10] Organisation des États américains, organisation basée à Washington qui regroupe tous les gouvernements des États d’Amérique.

[11] Rafael Correa, président de l’Equateur depuis le 15 janvier 2007, a annoncé sa volonté de renégocier la dette équatorienne qui s'élève à 10 milliards d'euros, de renégocier les contrats de la sociéte énergétique PetroEcuador avec les partenaires étrangers.


Etre ou ne pas être


Aporrea ajoute que, selon le Ministre Rodríguez Chacín, le groupe Venceremos est anarchiste, malgré les faits connus qui indiquent qu’il est une des nombreuses factions hissées par le gouvernement pour épaissir les mouvements comparses qui le soutiennent et qui confondent, selon son chef, la Révolution avec les scandales, les cris et les rugissements. Si ce qu’a déclaré le ministre était vrai, ce serait un groupe digne d'être étudié parce qu'il est décrit comme pro-impérialiste, mais pose des bombes dans une organisation patronale capitaliste, intégré par des anarchistes de droite avec des plaques de la police insurgée du maire Barreto, indiscipliné avec l’appui public de partisans loyaux au Commandant...


Aporrea complète en clarifiant brièvement ce qu'est l'anarchisme, avec référence à Wikipedia, ce que nous remercions, parce que mieux sera diffusé qui nous sommes et ce que nous cherchons et plus, probablement, il y aura de gens qui finiront par appeler avec nous : Ni dirigeants ni dirigés, des personnes libres associées. Dirigés et dirigeants sont synonymes d'État et, grâce à la gestion sus-mentionnée, beaucoup se rendent compte que l'État n'est pas autre chose que le repaire d'une bande qui nous assaille de tous côtés, à laquelle nous devons faire face ensemble pour éviter que, comme il est arrivé avant et continuera à arriver, cette horde passe mais le repaire reste à l’ordre des prochains criminels, comme l’espèrent les grognons du chavisme et aussi de l'opposition gouvernementaliste.


L’anarchie n'est pas le chaos ou le désordre, mais un autre ordre que celui qui est associé à l'obéissance aveugle à toute sorte de hiérarchie autoritaire, à toute idéologie oppressive, à l'homogénéisation de la pensée, à la soumission, à l'annihilation de l’individu, qui semble être l'ordre que cette pseudo-révolution poursuit. Le supposé désordre anarchiste est l'ordre des personnes libres, égales dans leur diversité, qui savent que le bien-être de chacun ne peut  être obtenu qu’avec le bien-être de tous. Évidemment qu’anarchistes nous sommes ces radicaux antichavistes que dénonce le gouvernementalisme, puisque nous sommes radicalement contre tout autoritarisme politique, économique et/ou culturel. Nous entendons les voix de tous et écoutons les conseils de ceux qui savent pour progresser collectivement mais jamais pour obéir aveuglément à quelques uns et, évidemment, nous refusons de vivre sous une discipline militaire basée sur la crainte des balles tendues à 90 miles par heure, ce qui est plus révolutionnaire que de se prendre pour un pitcher [12].

 


[12] lanceur au base-ball.


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Publié dans histoire

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